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Quelques Ronds de la Forêt

Quelques Ronds de la Forêt - Photos croisées

...Sept Ronds sur cinquante neuf, liés à notre environnement, ou à nos souvenirs d'enfance.

1. Rond de Montaloyer

Rond de Montaloyer

Montaloyer, le « Mont de l'oeil », le mont de la source, ou bien la motte depuis laquelle on peut surveiller les alentours ; situé aux confins de trois paroisses, il était également le but de processions qui pourraient expliquer l'origine de la légende de la petite Vierge du chêne ?

Carrefour de la route de Meaulne à Ainay le Château et de l'ancienne « Route d'Urçay aux Forges de Saint Jean de Bouys », la première de notre commune, mentionnée sur le Cadastre napoléonien de 1834, parmi ses multiples « Chemins ».

Sur cet ancien plan, le croisement se situait au niveau de l'actuel sentier d'accès au Chêne de Montaloyer où aboutissaient les Chemins de La Bruyère (le village actuel) et du Bourg de Braise (l'église). Sur sa butte, le chêne a sans doute, de longue date, servi de repère au long de ces itinéraires ; il aurait même caché une statue de la Vierge depuis l'époque des Guerres de Religion, ce qui en ferait un très (trop) vieil arbre ! Au cours du gouvernement du maréchal Pétain, une rumeur ayant fait état de l'apparition de la petite vierge, suite à l'abattage d'un chêne, attira, paraît-il, de nombreux curieux ?

Non loin d'ici, en direction des étangs des Ris et de Laleuf, la Croix Pétouillon est aussi l'objet d'une ancienne croyance : elle aurait été édifiée après le décès d'un meunier du moulin des Ris, noyé dans son étang et que sa conduite « dissolue » aurait privé d'une sépulture chrétienne. C'est autour de cette croix que les « Meneux de loups » rassemblaient leur meute, alors que passait « la sarabande de la Chasse Gayère dans le mystère des hautes futaies où couraient en bandes les esprits infernaux, faisant un épouvantable tapage, se poursuivant, allant et venant sans cesse, jetant de grands cris, mettant la forêt en immense rumeur, semant partout l'effroi et ne disparaissant qu'à l'aurore »...ça, c'étaient mes contes des veillées à la Croix Palais, d'où il fallait rentrer, dans la nuit... et le mystère de la grande Futaie...etc.

Plus au nord, les anciens chemins « des muletiers » et « des bannes » (les tombereaux) nous rappellent l'âge d'or des Forges de Tronçais. Près du Chêne, une maison forestière dont on devine encore l'emplacement a été démolie depuis quelques décennies, de même que la maison cantonnière qu'on voit sur la carte postale. Cette maison a également abrité, jusque dans les années 1950, une auberge bien connue des ouvriers du bois, gérée par les trois filles du cantonnier...

2. Rond du Chevreuil

Rond du Chevreuil

Peut-être le seul à évoquer une scène de chasse, à quelque distance sur la même Route des Forges, au croisement avec la longue ligne forestière qui mène du Feuillet à l"enclave de La Bouteille.

Aux anciens bûcherons de la commune, ce lieu évoquait d"abord le souvenir de « La Loge à François »...c"était très loin dans les mémoires, datant au moins de la Guerre de Cent ans ; elle était habitée par un vaurien de la pire espèce qui avait transformé sa loge en une sorte d"auberge où il accueillait des voyageurs perdus pour les dévaliser et les faire disparaître...une Auberge Rouge locale, en quelque sorte !

Pour l"exemple, François fut pendu haut et court aux branches d"un chêne voisin...Mais la loge inhabitée demeura, servant d'abri de fortune aux égarés qui y trouvaient également un peu de nourriture, le partant laissant toujours quelques denrées derrière lui...

Repaire de nombreux truands, la Forêt fut également, à bien des époques, un abri lors de « grandes peurs » , ou le refuge des insoumis, des opposants politiques, le dernier exemple étant celui des réfractaires au Service du Travail obligatoire durant la guerre de 1939-1944. En 1852, le sous-préfet de Montluçon, à la tête de 30 « chasseurs ? » vint à Tronçais pour rechercher les ouvriers restés fidèles à la République ; un habitant de La Bouteille réussit à leur échapper et dut son salut aux fourrés des ravins environnants où il resta caché plusieurs années.

La maison cantonnière est toujours debout ; ces habitations, dépendant de l'administration des Ponts et Chaussées, étaient construites le long des routes et non sur les lignes forestières. Sur la carte postale, on voit quelques jeunes recrues des Chantiers de Jeunesse, près du mât aux couleurs ; le Rond du Chevreuil abritait alors le Groupe n°6 Galliéni, occupé surtout à des travaux de forestage...aussi sans doute à des travaux agricoles, à Braize notamment : un vieux voisin se souvient de la soupe du soir que préparait sa maman pour « ces jeunes gars qui crevaient de faim... »

3. Rond Raffignon

Rond Raffignon

On le connaissait alors sous le nom de Carrefour des Landes Blanches, à la limite sud-est de la commune, sans doute à proximité du tracé de l'ancienne voie romaine de Drevant à Bourbon.

La « Garde de Lande Blanche » eut certes beaucoup à souffrir des prélèvements destinés à alimenter les forges en charbon de bois, mais cet ancien toponyme laisse supposer que les landes y ont existé depuis longtemps, landes provoquées, soit par des catastrophes naturelles (le grand vent qui abattit également les clochers des églises de Cérilly et Vitray en 1645...), ou par les hommes et leurs troupeaux.

Tout un monde l'a occupée régulièrement- on peut d'ailleurs se demander où pouvaient vivre les loups et autres lutins- gardiens de porcs, cueilleurs de toutes sortes, marchands de fagots, chasseurs de sauvagines revendues aux artisans tanneurs de St Amand, charbonniers, sabotiers, bûcherons, fabricants de pieux de vigne ou de cercles de tonneaux en bois, scieurs de long...Certains y ont construit leur loge, le charbonnier notamment qui doit surveiller sa meule nuit et jour « ...adossée à un arbre, élevée sur 4 perches fourchues liées en forme de cône, couvertes de branchages feuillus... ». Un arrière grand-père y périt la nuit du 31 décembre 1879, asphyxié par les fumées de la meule qu'il avait détournées pour réchauffer sa hutte...Sous François Ier, déjà, il avait fallu légiférer pour diminuer cette invasion !

A l'aube du XIXème siècle, certains de ces travailleurs qui se déplaçaient de forêt en forêt ont sans doute apporté dans nos régions les idées avancées à l'origine du « communisme agraire » qui va se répandre, surtout dans les communes rurales au nord-est de Tronçais. Aux lisières de cette garde, Baignereau abritait nombre de travailleurs sédentarisés ou employés des Forges : bûcherons, charbonniers, forgerons, même un « garde-fourneau à l'usine de Sologne...et qui nous expliquera l'origine de ce toponyme « Pré du Four percé » à quelque dizaine de mètres du chemin du Feuillet ?

Ce carrefour fut rebaptisé « Rond Raffignon », du nom d'un ancien Conservateur, en résidence à Montluçon, mais souvent occupant du Pavillon des Brays. Actuellement, le Responsable de « l'Unité territoriale de Tronçais » est installé à la maison forestière des Landes Blanches toute proche.

4. Rond Buffault

Rond Buffault

Autrefois Rond du Pavillon : En 1898, est créée l'Administration des Eaux et Forêts, avec une Direction à Moulins ; le Pavillon des Brays devient la résidence d'un Sous-inspecteur ou Garde Général, elle sera fermée lors de la création de l'Office National des Forêts en 1965.

Le Pavillon est situé sur le tracé de l'ancienne Voie romaine de Drevant à Bourbon, route non goudronnée quand nous l'empruntions pour nous rendre à Cérilly. Le rond nous intéressait peu, mais on arrêtait toujours la voiture à cheval pour admirer « le Bouquet », le seul « arbre remarquable » connu de la famille. Ce Géant de la Forêt devrait son nom à la légende : pendant la tourmente révolutionnaire qui suivit 1789, une belle jeune fille, accompagnée de ses parents, trouva refuge sous le grand chêne ; un Représentant du Peuple, en mission à Cérilly, les ayant découverts, leur accorda le salut moyennant quelques avantages. Déshonorée, la jeune fille se suicidera après avoir caché son bouquet dans le tronc de l'arbre...

Ce représentant aurait été chargé d'enquêter sur les activités du citoyen Rambourg, maître des Forges de Tronçais et vivant dans un luxueux château, acquis par la sueur de ses ouvriers ! Le château aurait été, en fait, « une loge construite de bois et de branchages »...les médias étaient-ils déjà sous influence ? Le Bouquet, dépérissant, a été abattu en 1963 ; on le retrouve sur les cartes postales de Grand-mère Marie...

Ce carrefour est devenu le Rond Buffault, du nom d'un ancien Conservateur qui résida lui aussi aux Brays ; il abrite un majestueux séquoia géant, arbre typique des Ronds de Tronçais.

5 - 6. Ronds de Morat et du Vieux-Morat

Rond de Morat

Rond du Vieux-Morat

Morat, c'est le nom d'une des dix anciennes Gardes de la forêt « ...la grande Forest de Tronçoy, consistant en dix contrées et gardes se joignant l'une à l'autre, savoir : La Remenanche, La Goutte Dardan, Peagu, La Goutte du Meslier, Gros Boulle, Piperon, Morat, Lande Blanche, La Bouteille, La Jarrye... » description extraite du rapport de M.Dequerre, conseiller du Roi Henri IV, datant de 1602.

Par la suite, Morat désignera aussi des Forges, un étang, deux arbres remarquables... Laisserait-on maintenant deux fillettes âgées de dix ans se rendre seules, à bicyclette, à la maison forestière de Morat pour y retrouver une camarade d'école, en empruntant la ligne qui passait alors à proximité du majestueux Chêne Apollon ? On était dans les années 1950, Buffévent venait d'être abattu, le Maréchal Pétain avait été débaptisé une énième fois, le Steebing avait été inauguré en 1951, honorant le Directeur de l'Ecole forestière d'Edimbourg...et le Club sportif de Braize accueillait ses élèves à l'occasion d'une rencontre de football amicale.

Une importante activité de production de charbon de bois avait animé le Rond de la Cave à l'époque des Chantiers de Jeunesse : qui se souvient encore des moteurs à gazogène ? Les deux habitations subsistent toujours, de part et d'autre de la ligne qui conduit à ce rond ; une des cyclistes se souvient d'un garde occupant la maison de gauche et d'un brigadier dans l'autre. Autour, des jardins, un pré avec des vaches ; la camarade fournissait ses instituteurs en beurre et fromages...on retrouvait la même configuration à Montaloyer, pour un revenu d'appoint nécessaire, sans doute ?

Cette partie de la Forêt fut autrefois relativement peuplée de nombreuses loges (près de 25 habitants au km2 contre 8 actuellement) ; on y trouvait tous les ouvriers du bois, mais aussi une petite agriculture aux rives de la Marmande et de ses nombreux ruisseaux avec aussi quelques métiers oubliés: de lointains aïeux y furent tisserands-chanvreurs à Bardais...

Le Chêne de Morat, âgé de 350 ans, exploité en 2006, fut vendu pour une somme voisine de 38 000 euros, prix de vente considéré comme exceptionnel... mais événement aussi largement médiatisé ! Son contemporain, le « Vieux Morat » a subi le même sort le 4 février 2011, appellation qui désignait aussi le canton attenant à la barre de logements de l'ancienne usine. Deux parcelles y sont classées sous le nom de « Futaie Colbert » ; cet ensemble vieillissant et maintenant protégé a longtemps recélé les plus vieilles et plus belles futaies, de part et d'autre du sentier touristique de la Réserve. Connaîtrons-nous bientôt une Futaie Colbert 2, autour du majestueux trio composé de La Sentinelle et des Jumeaux ?

7. Rond Gardien

Rond Gardien

Le plus vaste de Tronçais, à la convergence de 9 routes ou lignes forestières au centre de la forêt, appellation sans doute due au fait qu'un poste à signaux y était installé pour assurer la protection du Château de La Bruyère l'Aubespin, siège de l'une des 17 châtellenies du Bourbonnais.

Situé sur l'un des Chemins d'Auvergne, peut-être un de ceux qu'empruntaient les caravanes du Grand Argentier Jacques Coeur vers les importants ports du Languedoc : Aigues-Mortes, Agde ?...mais également, plus tard, sur la Route d'Urçay aux Forges, au Veurdre et à l'Allier par où transiteront bois et aciers.

Souvenirs d'école: nos chênes - Louis XIV - Colbert - la construction navale : pourtant de si beaux fûts correspondent mal aux courbures des bateaux...quant à se transformer en mâts, comme on nous l'enseignait, on imagine des équilibres difficiles ; notre forêt exporta sans doute toujours beaucoup plus de bois d'ébénisterie ou de merrain.

Au-delà du carrefour, dans les Gardes de Jarrye, de La Goutte Dardan ou du Meslier, les nombreux étangs ou biefs des moulins du bassin de la Marmande ont apporté une force motrice de plus en plus utilisée pour remplacer « une main d'oeuvre taillable et corvéable à merci ». La forêt constituait également un milieu vivrier important : petites parcelles bien irriguées, chènevières, jardins où l'on trouvait de tout...et le poisson d'eau douce était alors une des bases de l'alimentation.

Jusqu'à la fin des années 1900, le Rond Gardien était le lieu symbolique de « La Fête du Muguet », le 1er mai, avec le parquet-salon installé près de la maison cantonnière convertie en auberge.

 

...d'après des textes de Maurice Piboule, Georges Bodard, Elie Bertrand, Jacques Chevalier, du si joli « Un Tour de Tronçais »...et aussi des souvenirs des trop rares mémoires vivantes de la commune.

Jean-Jacques Martin